Fuente: Liberation |
Pour lui, l’identité est un concept inopérant, le propre de
la culture étant de se transformer. Sans doute y a-t-il du François Jullien
dans la récente déclaration de Bruno Le Maire : «L’identité, c’est ce qui
enferme, c’est immobile. La
culture, c’est ce qui ouvre, c’est ce qui change.» Mais loin d’être un
renoncement, ce petit essai défend, sans concession, non pas l’identité mais
les «ressources culturelles» européennes, telles que le latin et le grec,
l’emploi du subjonctif et la dissertation de philosophie. On pourrait le
prendre là pour un double de Finkielkraut, tant il s’inquiète de la menace que
constituent pour lui la mondialisation et le communautarisme. Il n’en est rien,
car le pendant de cette exigence, certes parfois élitiste, reste l’exploration
du lien, le dialogue et la production du commun.
- Ce titre en lettres rouges, Il n’y a pas d’identité
culturelle, est-ce une provocation par rapport aux politiques qui ne parlent
que de ça à longueur de discours ?
Je ne peux
laisser cette question envahir le débat public sans intervenir, tant elle est
mal posée. Depuis des années, je circule entre culture européenne et culture
chinoise, et j’ai dû me forger une position, en ce domaine, qui me rend peu
supportable le débat actuel. Les sorties sur l’identité nationale,
telles que «nos ancêtres les Gaulois», ont quelque chose de primaires, sans
analyse aucune, ni outil élaboré. Je suis d’ailleurs consterné de constater que
le personnel politique ne lit plus, vivant dans une sorte de vase clos avec des
éléments intellectuels d’une extrême pauvreté. J’ai donc vu là la nécessité d’une mise au
point. Le pseudo-débat actuel repose en effet sur une idée fausse, la
confusion entre le processus d’identification par lequel un individu se
constitue en sujet et le fait d’attribuer une identité objective à «sa»
culture. Même s’il y a quelque chose de rassurant à penser qu’il existe un
support objectif, valide, voire éternel à la culture. Quand je dis «il n’y a
pas d’identité culturelle», ce n’est pas une provocation. Une culture n’a pas
d’identité pour une raison élémentaire : c’est qu’elle ne cesse de se
transformer. Comme c’est le cas pour les langues : quand une culture, une
langue, ne se transforme plus, elle est morte.
- Vous militez pour un déplacement conceptuel qui abandonne
la notion d’«identité» pour celle de «ressources». N’est-ce pas une coquetterie
sémantique ?
Non, c’est
fondamental. Les «ressources» ne sont pas une notion idéologique : elles ne se
«prêchent» pas, contrairement aux valeurs. Défendre des «valeurs françaises»
s’inscrit dans un rapport de force, alors que des ressources sont à la
disposition de chacun. D’autre part, «identité» va de pair avec «différence».
Or, la différence sert seulement à ranger ; et l’on prétend identifier ainsi
les caractéristiques de chaque culture. Le mauvais livre de Samuel Huntington,
le Choc des civilisations, repose sur cette conception. Les cultures y sont
pensées comme des blocs : la culture chinoise, la culture européenne, la
culture islamique, avec leurs traits dits spécifiques. C’est là nier
l’histoire, car ces cultures ont muté au fil du temps, ainsi que leur diversité
interne.
S’il n’y a pas de différences culturelles, il y a ce que
j’appelle des écarts. Alors que la différence opère une séparation sous l’angle
de la distinction, l’écart le fait sous l’angle de la distance, qui suppose une
prospection : jusqu’où va l’écart ? L’écart produit un dérangement, comme on dit «faire un écart» : il est
exploratoire. Dans la différence, une fois la distinction faite, chacun
des termes s’en retourne de son côté. L’écart permet, en revanche, aux deux
termes de rester en regard. Et cette tension est féconde. Chacun y reste
dépendant de l’autre pour se connaître et ne peut se replier sur ce qui serait
son identité.
Lea el informe completo aquí.
No hay comentarios:
Publicar un comentario