lunes, 3 de octubre de 2016

François Jullien : «Une culture n’a pas d’identité car elle ne cesse de se transformer», par Anastasia Vécrin – Liberation


Fuente: Liberation
Alors heureuse ou malheureuse ? On n’en a pas fini avec l’identité nationale qui s’impose comme le thème de prédilection de la prochaine campagne présidentielle. De Nicolas Sarkozy («Nos ancêtres sont gaulois») à Alain Juppé («identité heureuse»), en passant par Jean-Luc Mélenchon, Bruno Le Maire ou Arnaud Montebourg, qui se veut présidentiable a une position sur le sujet. Intitulé Il n’y a pas d’identité culturelle, le dernier livre du philosophe et sinologue François Jullien (le 5 octobre aux éditions de l’Herne) sonne comme une réplique aux borborygmes politiques.

Pour lui, l’identité est un concept inopérant, le propre de la culture étant de se transformer. Sans doute y a-t-il du François Jullien dans la récente déclaration de Bruno Le Maire : «L’identité, c’est ce qui enferme, c’est immobile. La culture, c’est ce qui ouvre, c’est ce qui change.» Mais loin d’être un renoncement, ce petit essai défend, sans concession, non pas l’identité mais les «ressources culturelles» européennes, telles que le latin et le grec, l’emploi du subjonctif et la dissertation de philosophie. On pourrait le prendre là pour un double de Finkielkraut, tant il s’inquiète de la menace que constituent pour lui la mondialisation et le communautarisme. Il n’en est rien, car le pendant de cette exigence, certes parfois élitiste, reste l’exploration du lien, le dialogue et la production du commun.

- Ce titre en lettres rouges, Il n’y a pas d’identité culturelle, est-ce une provocation par rapport aux politiques qui ne parlent que de ça à longueur de discours ?

Je ne peux laisser cette question envahir le débat public sans intervenir, tant elle est mal posée. Depuis des années, je circule entre culture européenne et culture chinoise, et j’ai dû me forger une position, en ce domaine, qui me rend peu supportable le débat actuel. Les sorties sur l’identité nationale, telles que «nos ancêtres les Gaulois», ont quelque chose de primaires, sans analyse aucune, ni outil élaboré. Je suis d’ailleurs consterné de constater que le personnel politique ne lit plus, vivant dans une sorte de vase clos avec des éléments intellectuels d’une extrême pauvreté. J’ai donc vu là la nécessité d’une mise au point. Le pseudo-débat actuel repose en effet sur une idée fausse, la confusion entre le processus d’identification par lequel un individu se constitue en sujet et le fait d’attribuer une identité objective à «sa» culture. Même s’il y a quelque chose de rassurant à penser qu’il existe un support objectif, valide, voire éternel à la culture. Quand je dis «il n’y a pas d’identité culturelle», ce n’est pas une provocation. Une culture n’a pas d’identité pour une raison élémentaire : c’est qu’elle ne cesse de se transformer. Comme c’est le cas pour les langues : quand une culture, une langue, ne se transforme plus, elle est morte.

- Vous militez pour un déplacement conceptuel qui abandonne la notion d’«identité» pour celle de «ressources». N’est-ce pas une coquetterie sémantique ?

Non, c’est fondamental. Les «ressources» ne sont pas une notion idéologique : elles ne se «prêchent» pas, contrairement aux valeurs. Défendre des «valeurs françaises» s’inscrit dans un rapport de force, alors que des ressources sont à la disposition de chacun. D’autre part, «identité» va de pair avec «différence». Or, la différence sert seulement à ranger ; et l’on prétend identifier ainsi les caractéristiques de chaque culture. Le mauvais livre de Samuel Huntington, le Choc des civilisations, repose sur cette conception. Les cultures y sont pensées comme des blocs : la culture chinoise, la culture européenne, la culture islamique, avec leurs traits dits spécifiques. C’est là nier l’histoire, car ces cultures ont muté au fil du temps, ainsi que leur diversité interne.

S’il n’y a pas de différences culturelles, il y a ce que j’appelle des écarts. Alors que la différence opère une séparation sous l’angle de la distinction, l’écart le fait sous l’angle de la distance, qui suppose une prospection : jusqu’où va l’écart ? L’écart produit un dérangement, comme on dit «faire un écart» : il est exploratoire. Dans la différence, une fois la distinction faite, chacun des termes s’en retourne de son côté. L’écart permet, en revanche, aux deux termes de rester en regard. Et cette tension est féconde. Chacun y reste dépendant de l’autre pour se connaître et ne peut se replier sur ce qui serait son identité.

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